top of page

Cocktails de Terroir : avec ou sans alcool, le goût du Savoir-Faire

Les tables rondes du Festival des Terroirs 2025 #4

Animée par Samir Ouriaghli avec Benjamin Robert (Embruns Signatures Drinks), Mathieu Sabbagh (SAB'S), Louise Personnaz (Antésite), Valérie de Sutter (JNPR) et Géraldine Le Garrec ( Domaine des Hautes Glaces) 

Le monde du cocktail ne cesse d’évoluer, repoussant les frontières de la création et de l’artisanat. Lors d'une table ronde inspirante intitulée « Cocktail de terroir », plusieurs acteurs du monde des spiritueux et des boissons sans alcool ont partagé leur passion, leur savoir-faire et leur vision commune : créer des cocktails enracinés dans le terroir français, avec ou sans alcool, tout en valorisant les produits locaux et les techniques innovantes. 

 

 

Le terroir, une boussole créative 

Pour Benjamin Robert, un cocktail de terroir, c’est avant tout « une création en accord avec le territoire, les saisons et la nature ». C’est comprendre la philosophie du produit, respecter son identité et parfois, n’utiliser que des ingrédients issus du lieu d’origine du spiritueux. Une démarche qui s’inscrit dans une tendance de fond : le retour au local, à l’authentique, à une mixologie plus responsable et durable. 

Une nouvelle ère pour la mixologie 

Ce rendez-vous entre distillateurs, producteurs et mixologue démontre que la mixologie moderne ne se limite plus aux bars de New York ou de Tokyo. Elle se vit aussi dans les montagnes, les vergers, les champs – là où la matière première est cultivée avec soin. 

Entre alcool et sans alcool, entre techniques de pointe et savoir-faire séculaire, le cocktail de terroir s’impose comme une expérience sensorielle complète, un geste culturel et un hommage à la terre. 

Alors que l’univers des spiritueux est souvent dominé par des logiques industrielles, une nouvelle génération de distillateurs et producteurs redonne sens au mot terroir. Si la notion est bien connue dans le monde du vin, elle fait désormais sa place dans celui des spiritueux. 

Le whisky de terroir, une révolution récente 

Géraldine Le Garrec le reconnaît : la notion de whisky de terroir est relativement nouvelle. Si le whisky existe depuis des siècles, porté par l’industrie écossaise ou américaine, peu d’acteurs s’étaient intéressés à la céréale elle-même, à sa provenance, à sa culture. La plupart des distilleries mettaient en avant le vieillissement, les fûts, l’eau, mais rarement la matière première agricole. 

C’est dans les années 2000 que Frédéric Revol, fondateur du Domaine des Hautes-Glaces, décide de changer la donne : « Il s’est dit : Moi, mon héroïne, c’est la céréale. Je veux la mettre en avant, je veux qu’on la goûte. » 

Installé dans le Trièves, au sud de Grenoble, le domaine cultive aujourd’hui ses propres céréales, en agriculture 100 % biologique, en partenariat avec 15 agriculteurs locaux. Ici, la céréale n’est pas une simple base neutre, mais le véritable socle aromatique du whisky. 

L’eau, entre poésie et marketing 

La place de l'eau

Dans le monde du whisky, l’eau est souvent mise sur un piédestal. Mais pour Géraldine Le Garrec et Mathieu Sabbagh, cette emphase tient parfois plus du récit marketing que d’une réelle influence sensorielle. « En Écosse, toutes les distilleries utilisent des systèmes d’osmose inverse qui neutralisent l’eau. Résultat : toutes les eaux se ressemblent. » 

Ce qui compte réellement ? La fermentation et la distillation lente, qui sont de véritables marqueurs de style. Au Domaine des Hautes-Glaces, les fermentations durent jusqu’à 140 heures, bien plus que les 60 heures habituelles. Un temps long qui permet à la céréale de s’exprimer pleinement, de développer des arômes complexes et profonds. 

 

Le terroir, ce n’est pas que la terre : c’est aussi l’humain 

Mathieu Sabbagh insiste : « Le terroir, ce n’est pas uniquement la terre. C’est aussi le travail de l’homme, le savoir-faire. » 

En Bourgogne, il distille marc et fine de Bourgogne, deux spiritueux sous Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) – preuve incontestable de leur lien au territoire. Sa distillerie récupère les résidus de vinification des plus grands domaines viticoles de la région, parmi les plus prestigieux au monde. Chaque distillation est un acte de transmission du millésime, du travail du vigneron, de la nature elle-même. 

 

L’eau-de-vie blanche : l’expression la plus pure du terroir 

Pour Mathieu Sabbagh, les eaux-de-vie blanches de fruits sont l’une des expressions les plus directes du terroir. « Je peux te faire goûter une poire 2022 et une poire 2023, tu sentiras la différence. Comme pour le vin, on ressent l’année, le climat, les conditions de récolte. » 

Une approche vivante, aux antipodes des produits standardisés. C’est aussi un plaidoyer pour reconnaître la notion de millésime dans les spiritueux — chose encore trop rare, sauf exceptions comme l’Armagnac. 

 

Vers des spiritueux vivants et engagés 

Aujourd’hui, de plus en plus de producteurs prennent le contre-pied des productions standardisées, où le goût reste le même d’une année à l’autre, indépendamment du climat ou de la récolte. Au contraire, ces artisans du goût revendiquent des spiritueux qui évoluent, qui racontent leur année, leur lieu de naissance, leur processus de transformation. Ils font le choix de la transparence, du lien au sol, et de l’identité locale. 

 

Le sans-alcool aussi a un terroir : quand sobriété rime avec savoir-faire et goût 

Longtemps relégué au rang de solution de repli ou de proposition édulcorée, le sans-alcool opère aujourd’hui une véritable révolution culturelle. Il ne s'agit plus de “faire comme si”, mais de créer avec exigence, dans le respect du goût, des ingrédients et du terroir. La preuve avec Antésite et JNPR, deux marques françaises qui incarnent cette nouvelle vision. 

Antésite : 125 ans d’histoire pour un concentré d’intention 

On oublie trop souvent qu’avant d’être tendance, le sans-alcool a aussi été une réponse sociale et hygiéniste. C’est le cas d’Antésite, né en 1898 sous l’impulsion d’un apothicaire grenoblois souhaitant lutter contre l’alcoolisme. À cette époque, l’eau courante venait d’apparaître dans les foyers, mais son goût désagréable de tuyauterie poussait les Français à l’aromatiser… avec du vin, de l’anisette ou du pastis. Résultat : une consommation d’alcool parfois excessive, y compris au quotidien. 

L’inventeur d’Antésite décide donc de créer une alternative saine, sans alcool, sans sucre, sans édulcorants, ni colorants – un exploit pour l’époque. L’aromatisation reprend les codes gustatifs appréciés, notamment l’anis et la réglisse, mais dans une formule ultra concentrée : quelques gouttes suffisent à transformer l’eau… ou un cocktail. 

« Ce n’est pas un sirop, c’est un ultra concentré. On utilise un système de goutte-à-goutte, et on peut s’en servir aussi bien dans l’eau, dans l’alcool, en cuisine ou dans de l’eau chaude », précise Louise Personnaz. 

Encore fabriqué au même endroit qu’il y a plus de 125 ans, avec les procédés d’origine, Antésite se réinvente aujourd’hui dans des cocktails et des mocktails, comme un trait d’union entre tradition, santé publique et innovation gastronomique. 

 

JNPR : distiller le goût adulte… sans alcool 

De son côté, Valérie de Sutter, fondatrice de JNPR (prononcez “Juniper”), part d’un constat personnel et sociétal : « Dès qu’on parlait sans-alcool, on avait envie de cacher la bouteille… Ce n’était pas assumé. Et puis il n’y avait pas grand-chose de bon. » 

Elle décide alors de créer une boisson sans alcool premiumisée, qui assume les codes des spiritueux, mais sans leur composant principal. Son héroïne ? La baie de genièvre, emblème du gin, qu’elle a voulu replanter en Normandie, là où la marque est née. « On a enlevé les voyelles comme on a enlevé l’alcool. » 

Si les genévriers ne sont pas encore intégrés dans les formules (il faut du temps pour les cultiver), l’idée est claire : reconnecter le produit au territoire, à l’agriculture locale, et au savoir-faire de la distillation. 

JNPR revendique une approche artisanale et botanique, où les épices et les extraits végétaux sont pensés pour restituer le "goût adulte", ce goût complexe, moins sucré, plus structuré, qui sied aux moments d’apéritif. 

 

Terroir et sobriété : un nouveau duo gagnant 

Antésite comme JNPR ont en commun cette volonté de requalifier le sans-alcool, non comme un manque, mais comme une création à part entière, avec ses propres codes, son exigence, son lien à la terre et à l’histoire. 

Dans les deux cas, il ne s’agit pas de copier les spiritueux, mais bien de proposer une alternative cohérente, enracinée dans un patrimoine culturel et sensoriel. La logique de terroir s’y exprime à travers les plantes, les méthodes de fabrication, et une philosophie de la modération joyeuse. 

 

Une nouvelle ère pour le sans-alcool 

Le sans-alcool ne se résume plus à quelques jus de fruits trop sucrés. Il peut être complexe, expressif, élégant, affirmé. Et surtout, il peut s’inscrire pleinement dans une démarche de terroir, au même titre que le vin, les eaux-de-vie ou les whiskies artisanaux. 

Ce renouveau, porté par des marques comme Antésite et JNPR, montre que la sobriété peut rimer avec excellence. Il ouvre une nouvelle page pour l’apéro à la française : celle du choix éclairé, du plaisir assumé… et du respect du goût. 

Cocktails sans alcool : une nouvelle approche du classicisme 

En parallèle de ces savoir-faire, une autre révolution se joue au bar, avec la montée en puissance des cocktails sans alcool. L’équipe de JNPR revisitent des classiques comme le Hanky-Panky, un cocktail historique inventé par Ada Coleman, première femme bartender du Savoy à Londres. 

« Nous utilisons un gin sans alcool et un vermouth sans alcool, et remplaçons le Fernet par un mélange de mélasse de sucre de canne et d’herbes aromatiques, pour retrouver la longueur et l’amertume du cocktail original. » Le bois s’invite aussi dans ce travail, avec l’infusion et la distillation de copeaux de chêne, pour apporter une subtile complexité boisée. 

 

Tendances et futur : la quête de produits authentiques et locaux 

Le marché des cocktails évolue vers le low alcohol et le sans alcool, mais avec une exigence qualitative élevée. Benjamin Robert rappelle l’importance d’aller vers des produits locaux, artisanaux, qui racontent une histoire et valorisent un terroir. « Il y a une vraie envie de transparence et de partage, du producteur au consommateur, en passant par le barman. » 

C’est cette démarche authentique et exigeante que le Domaine des Hautes Glaces incarne, à la croisée des savoir-faire agricoles, artisanaux et culinaires. 

Au fond, cette table ronde a révélé une ambition plus large : faire du cocktail un acte de lien. Lien entre les métiers, les humains, les territoires, les saisons. Lien aussi entre ceux qui fabriquent et ceux qui dégustent. "Un cocktail peut être une œuvre collective, un moment de transmission, une manière douce de parler d’écologie et de culture." 

Entre spiritueux traditionnels et alternatives sans alcool, les intervenants s’accordent sur une vision commune : redonner du sens à la boisson, en reconnectant les gestes de la création à la terre, au temps, à l’agriculture, et à l’humain. 

 

Ce mouvement du "cocktail de terroir" est encore jeune, mais il trace une voie prometteuse : celle d’une mixologie plus consciente, plus locale, et profondément créative. Un goût d’avenir… à savourer dès maintenant. 

TR4_CocktailsLes tables rondes du Festival des Terroirs 2025 #4
00:00 / 40:20
bottom of page