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Relocaliser l’agriculture :
travailler des ingrédients
français en pâtisserie

Les tables rondes du Festival des Terroirs 2025 #14

Animée par Samir Ouriaghli avec Sylvain Goujon (Lucas Carton*), Martin d'Archimbaud (GreenPods), Bernadette Combette & Alexandre Sené (Mama Grana), François Xavier Meignan (Transgourmet)

À travers la renaissance de la filière amande française et la sauvegarde de variétés anciennes de céréales, d’amandes ou de maïs oubliés, des producteurs passionnés et des chefs engagés tissent ensemble un récit commun : celui d’une agriculture régénérative, locale et savoureuse. Rencontre avec ceux qui refusent que le vivant disparaisse des champs… et des assiettes.

L’amande française, un retour aux sources

« C’est le début des rhubarbes », lance le chef en souriant, en présentant son dessert à base d’amande et de rhubarbe à la rose. Face à lui, Martin d'Archimbaud, producteur, évoque la genèse de son verger et d’un projet audacieux : faire renaître une filière amande française quasiment disparue.

À la ferme Esperanza, Martin d'Archimbaud cultive ses amandiers selon des pratiques biologiques et régénératives : pas de labour, des couverts végétaux, des sols vivants, une biodiversité favorisée à chaque étage de la ferme. « On essaie de travailler sans intrants chimiques, explique-t-il. Et surtout, on va plus loin : on cherche à restaurer les écosystèmes, à séquestrer du carbone, à ramener des insectes et des oiseaux. »

Le producteur revendique une approche globale et écologique, où la qualité du produit dépend de la santé du sol. Son modèle repose sur la plantation d’arbres, « le point central », insiste-t-il. Deux fermes existent déjà, avec pour ambition d’étendre la démarche à la noisette, la pistache et d’autres cultures d’arbres à fruits secs adaptées au climat du Sud.

Mais pourquoi l’amande ? « Parce qu’elle raconte une histoire française oubliée », répond Martin d'Archimbaud. Jadis, la Provence en regorgeait : le calisson d’Aix et le nougat de Montélimar en sont les témoins. Au XXᵉ siècle, la filière s’est effondrée, remplacée par les importations californiennes. « En cinquante ans, on a perdu tout un savoir-faire, explique-t-il. L’INRA avait développé des variétés françaises, mais les programmes se sont arrêtés dans les années 1980. »

Aujourd’hui, il replante avec cinq variétés différentes, certaines locales, d’autres espagnoles choisies pour leur floraison tardive, afin d’éviter les gels printaniers. « C’est un travail de longue haleine, mais on reconstruit une filière durable, adaptée à notre territoire. »

Sauver le vivant : quand les graines deviennent patrimoine

À ses côtés, Bernadette Combette et Alexandre Sené, fondateurs d’un réseau d’accompagnement de producteurs, partagent une même mission : sauver les variétés paysannes menacées de disparition. « On a parfois trouvé des graines qui vivaient leur dernière année avant l’extinction, » raconte Alexandre Sené. « Des maïs, des pois chiches, des lentilles… que personne ne cultivait plus. » Leur travail consiste à identifier, sauvegarder et valoriser ces variétés anciennes, souvent auprès de chefs et d’artisans engagés.

Bernadette Combette insiste sur l’enjeu : « La biodiversité est en danger. On a perdu les deux tiers des variétés de pommiers depuis le XIXᵉ siècle. C’est la même chose pour les céréales. »

Leur démarche dépasse la simple conservation : ils recréent des filières viables autour de ces produits. L’exemple le plus emblématique ? Le maïs roux du Pays basque. « Quand on l’a découvert, il n’existait plus, se souvient Alexandre. Un petit producteur a accepté de le remettre en culture. Dix ans plus tard, il y a six fermes qui le cultivent. »

Pour sécuriser la filière, ils ont créé une association et un cadre juridique permettant de cultiver des semences non hybrides et non homologuées, souvent illégales au regard du droit semencier. « On a fait appel à une avocate spécialisée en propriété intellectuelle pour protéger ce patrimoine vivant », explique-t-il.

Leur approche est hybride : entre agriculture, droit, filière économique et valorisation gastronomique. « On ne voulait pas juste sauver des graines, mais leur redonner un avenir, un goût, une économie. »

Le goût comme lien entre la terre et l’assiette

C’est là qu’interviennent les chefs. Sylvain Goujon, pâtissier et cuisinier, incarne ce trait d’union entre le champ et la table. Pour lui, travailler ces produits, c’est « valoriser l’amande et la rhubarbe autrement ». Son dessert du jour : un biscuit pain de Gênes à l’amande, une marmelade de rhubarbe au miel et à l’eau de rose, et un espuma d’amande légère. « Je voulais mettre en avant le goût de l’amande, sans le masquer. Celle de Martin a un parfum d’amande amère, mais avec une vraie rondeur. »

Son approche est simple : suivre les saisons, s’adapter à ce que la nature offre. « En ce moment, c’est la rhubarbe, les fraises arrivent. Dans quelques mois, ce seront les fruits jaunes. On ne s’ennuie jamais. »

Et son dessert signature ? « Le baba », sourit-il. « Parce que c’est une éponge à goût. On peut l’imbiber de tout ce qu’on veut : vin jaune, limoncello, noix, fleurs. C’est un dessert de transmission, comme nos produits. »

Une agriculture régénérative et collective

Ces initiatives ne se limitent pas à un retour nostalgique. Elles dessinent une nouvelle économie agricole fondée sur la coopération, la durabilité et le goût.

Martin  d'Archimbaud poursuit son travail sur l’amande, mais prépare déjà la suite : créer un outil de transformation local pour casser, trier et transformer les amandes en huile, poudre ou lait. « C’est essentiel pour valoriser la filière de bout en bout. »

Bernadette Combette et Alexandre Sené, de leur côté, élargissent leur combat à des produits du quotidien : riz, lentilles, farines, tous menacés par la standardisation industrielle. « Ce sont des produits simples, mais leur impact environnemental est énorme quand ils sont produits à grande échelle. Nous, on veut redonner de la valeur à ces variétés anciennes », explique Bernadette Combette.

Et parce qu’ils pensent globalement, ils travaillent même sur un projet pionnier de transport maritime à la voile en Méditerranée. « On importe du riz de Sicile, raconte-t-elle. Plutôt que de le faire venir en camion, on a décidé de le transporter à la voile. C’est symbolique, mais c’est surtout cohérent. »

Recréer des récits vivants

Au fil des échanges, une même idée revient : redonner vie aux récits agricoles. Ces producteurs et artisans ne sauvent pas seulement des variétés ; ils réinventent une culture du lien entre terre, goût et société.

« Ce qu’on veut, c’est que ces produits vivent, qu’ils se déploient, affirme Alexandre Sené. Pas de monopole, pas de centralisation. Que chacun puisse s’en emparer. »

L’amande française, le maïs basque, la rhubarbe à la rose… autant de symboles d’une agriculture du vivant, portée par des femmes et des hommes qui refusent le renoncement.

 

Parce qu’au fond, il ne s’agit pas seulement de cultiver autrement. Il s’agit de refaire société autour du goût.

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